Entreprise libérée, une réponse au désengagement ?

Seulement 11% des salariés iraient au travail de bon cœur contre 61% uniquement intéressés par le salaire.

Quant aux 28% restants, ils seraient complètement désengagés*
11% des salariés sont donc “heureux” de se rendre au travail, et c’est bien peu lorsque l’on considère que nous passons à minima 35 heures de notre semaine sur notre lieu de travail.

crédit photo : pexels.com / blur-cellphone-close-up-288530.jpg
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Est-il possible d’apporter le bonheur au travail, et surtout comment ? Isaac Getz et Brian Carney, auteurs de « Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises », se sont penchés sur la question et en ont ressorti la notion d’entreprise libérée : une entreprise au sein de laquelle la majorité des salariés peuvent décider des actions qu’ils considèrent comme étant les meilleures pour l’intérêt de l’entreprise. Ces actions ne sont imposées ni par les décideurs ni par une quelconque procédure.
Ce sont bien les salariés, mieux à même d’améliorer les techniques ou méthodes de leur propre métier, qui décident des actions à effectuer.
Pour cela, quelques conditions sont nécessaires :
Tous les salariés d’une entreprise ont droit au même respect, à la même considération et la même bienveillance de la part de l’organisation; tous les signes et symboles de statut hiérarchique doivent disparaitre, et les actes des dirigeants doivent accompagner leur volonté. De plus, chaque salarié doit s’être approprié la vision de l’entreprise et la partager pleinement, afin de mettre du sens.

L’entreprise libérée mise sur le fait que le salarié possède une véritable connaissance du produit et des processus de fabrication et a envie d’améliorer son environnement de travail. En échange, l’organisation doit être totalement transparente, apporter un environnement nourricier, pour répondre aux besoins des salariés (les managers ne sont plus des contrôleurs, mais des coachs qui aident leurs collègues).

Copiée sur le modèle militaire, celui de l’entreprise au sens traditionnel du terme est un système pyramidal comprenant plusieurs niveaux de hiérarchie. Des exécutants commandés et contrôlés par leurs responsables, ne laissant aucune place aux initiatives.

Le modèle industriel a alors été appliqué à la plupart des entreprises. À l’époque, les règles de contrôle ont été créées pour cadrer les paysans qui n’avaient aucune expérience de l’entreprise. Le pointage de présence et le poste de contremaître pour les surveiller ont ainsi vu le jour. Aujourd’hui les entreprises ont conservé cette organisation basée sur le contrôle des employés alors même que ceux-ci ont radicalement changé. Le sentiment d’asphyxie qu’ils ont alors ressenti trouve son origine dans le développement des nouvelles technologies qui ont favorisé ces contrôles intempestifs.

Ces méthodes s’appliquent toujours aujourd’hui et étouffent donc les salariés par un trop plein de contrôles et trop peu de confiance. Selon Jean-François Zobrist, PDG de la société Favi, on observe un cercle vicieux du contrôle où plus l’on contrôle plus l’on perd de l’argent et plus l’on perd de l’argent plus l’on contrôle. Comme expliqué dans le livre Liberté et Cie, certains process pour faire des économies ou contrôler génèrent parfois des coûts cachés et/ ou de la perte de productivité.

La solution, selon lui, est une confiance mutuelle entre l’employeur et son employé. La réussite du modèle nécessite une implication totale de l’ensemble des acteurs.

Pour monsieur Zobrist, l’ego est le pire ennemi de l’entreprise. Cette structure pyramidale favoriserait cette politique du contrôle, permettant aux différents responsables de conserver leurs acquis. Pour contrer ce phénomène, il évoque le besoin de managers “egoless” qui feraient passer le bien-être de leurs équipes avant leur réussite personnelle, au profit d’un objectif de haute ambition de résultats et de satisfaction du client final, générant une performance accrue, dans un environnement permettant à chacun de trouver sa propre motivation et son propre épanouissement.

Certaines structures n’ont pas attendu pour mettre en place ce dispositif d’entreprise libérée et sont ainsi parties à la conquête de la liberté, parmi elles, nous retrouvons les suivantes qui ont été mises en exergue dans le documentaire d’Arte sur l’entreprise libérée  :

–  Favi, une entreprise française spécialisée dans la fonderie
–  Chronoflex, leader en France du dépannage de flexibles hydrauliques
–  Poult, un industriel français du marché des biscuits sucrés
–  La fonction publique belge,
–  Gore, une entreprise américaine créative tournée vers la technologie, inventeur du Gore-Flex
–  Harley-Davidson, le fameux constructeur de grosses cylindrées

Exemples de solutions appliquées par ces entreprises

– Un brainstorming général où la parole de chaque employé peut être valorisée
– La suppression de la hiérarchie intermédiaire, d’où une responsabilisation des salariés, avec une transformation du rôle de manager.
– La suppression des contrôles qui empêchent la confiance
– La mise en place de « Dynamics office », c’est-à-dire la suppression de bureau fixe, la création d’open space, les employés pouvant changer de poste à leur guise
– De nouvelles fonctions pour les cadres qui deviennent alors accompagnateurs et conseillers de leurs collaborateurs
– Les fonctions de manager devenant des fonctions support qui ne sont plus basées sur le contrôle ou l’autorité.
– L’encouragement à l’autonomie et à la prise d’initiatives dans un souci d’amélioration continue de la marque
– La suppression du pointage de présence, remplacé par la mise en place d’objectifs à réaliser
– Une répartition des bénéfices innovante chez Chronoflex :
–  +15% en fonction de la performance individuelle
–  +15% en fonction de la performance collective
–  +15% repartis en parts égales entre tous les collaborateurs

L’entreprise est donc gérée par des petits groupes de pilotage ou dans le cas de Favi, l’entreprise est divisée en mini-usines rattachées à un client unique. Chacune de ces mini usines possède une équipe autonome de personnes qui s’entendent bien avec un commercial dédié.

Les origines : Le lean management

Si le nom d’entreprise libérée est beaucoup entendu en ce moment, il n’est pourtant pas neuf et repose sur un type de management bien connu : le lean management.

Dans leur ouvrage, “Le système qui va changer le monde”, paru en 1992, les chercheurs américains James Womack, Daniel Jones et Daniel Roos ont été parmi les premiers à évoquer ce nouveau modèle d’organisation du travail. Littéralement « gestion maigre », le lean management trouve son origine au Japon inspiré par le constructeur automobile Toyota. Cette méthode d’organisation du travail en entreprise a pour objectif de mettre à contribution l’ensemble des acteurs afin d’éliminer les gaspillages réduisant l’efficacité et la performance de l’entreprise.

On distingue 7 formes de gaspillage à éliminer selon les principes du lean : la surproduction, les attentes, les rebuts-retouches/corrections, les gammes et processus opératoires mal adaptés, les transports/ruptures de flux, les mouvements inutiles et les stocks (productifs ou administratifs) ; auxquels il faut ajouter un huitième gaspillage, qui est la non-utilisation des ressources intellectuelles du personnel.

Dans un deuxième temps, pour répondre à l’exigence de rendement et à une demande diversifiée, les collaborateurs doivent pouvoir être polyvalents et autonomes.
Leur « polycompétence » leur permet donc de pouvoir être de « véritables couteaux suisses » capable de d’effectuer en plus des tâches de production, celles de contrôle de la qualité et de réaction aux informations qui leur sont communiquées.
Chacune de ces évolutions n’amènent qu’à un seul but : l’amélioration de la qualité des produits ou des services. À l’inverse du taylorisme, le lean cherche non seulement à augmenter la productivité mais aussi à améliorer les conditions de travail des salariés.

Le lean management est fondé sur l’ « amélioration continue », aussi appelée au Japon Kaizen ; la résolution des problèmes se passe sur le terrain.

Les origines : Le Kaizen

Le système Kaizen, pouvant être traduit par « amélioration continue » ou encore « analyser pour rendre meilleur », vient à la base du japon et a été créé par l’entreprise Toyota (citée plus haut) dans un contexte de reconstruction « post-deuxième guerre mondiale ».

Le Kaizen n’a pas pour but de demander un investissement financier important mais consiste en l’amélioration de la productivité d’une entreprise en apportant chaque jour de petits changements.
Pour être efficace, il nécessite l’implication de tous les employés, cadres ou non cadres, en donnant des idées et en étant force de proposition. Le Kaizen tend à inciter chaque travailleur à réfléchir sur son lieu de travail et à proposer des améliorations.

Intégrer le système Kaizen au sein d’une entreprise passe avant tout par la création de groupes de travail, une analyse des objectifs de l’entreprise, une totale transparence quant aux changements liés au Kaizen, l’implication de tous les employés et la mise en place de récompenses pour les motiver.

Si ces critères sont appliqués et que le système Kaizen est performant, il conduira à une amélioration de la qualité des produits ou des services, une amélioration de la productivité ainsi que des délais de production et enfin une amélioration des conditions de travail et de surcroît de l’implication des travailleurs.

Plus qu’une technique de management, le Kaizen est une véritable philosophie, une mentalité devant être déployée à tous les niveaux de l’entreprise.

Les éventuels inconvénients

Le modèle de l’entreprise libérée soulève néanmoins un certain nombre d’interrogations. En effet, selon le point de vue d’un représentant syndical du ministère des transports belges, tout le monde n’est pas réceptif, il reste des exclus. Certains estiment que « c’était plus simple quand on nous donnait des ordres » et peuvent se sentir déboussolés. La création de “Dynamics office” peut avoir pour effet de marginaliser certaines personnes. Paradoxalement, cela engendre une sorte de contrôle social où tout le monde voit tout le monde.

Le système d’objectifs peut parfois déborder sur la vie privée et se révéler être une masse de travail plus importante. Plus questions de 35 heures, l’employé travaille tant que ses objectifs ne sont pas remplis. Dans une entreprise libérée, on doit donc occasionnellement se passer de certains acquis sociaux.

Le recrutement dans l’entreprise libérée

La problématique du recrutement dans l’entreprise libérée doit être l’objet d’une attention tout particulière. Au-delà de leurs compétences, les futurs collaborateurs doivent être en phase avec les valeurs revendiquées par leur entreprise. Les salariés doivent être force de proposition surtout dans le cas d’une position managériale.

Pour le recrutement d’un nouveau directeur pour son plus gros site de production, l’entreprise Poult a décidé de recruter en interne. Pour se faire, elle a constitué un collectif représentatif de personnes travaillant dans l’entreprise pour prendre la décision finale.

L’objectif des réunions de ce collectif était de définir ce que chacun recherchait chez un directeur de site.
3 candidats ont ensuite été accueillis en même temps, par tout le collectif, afin de discuter de leur style de management et de leurs projets pour le site. À l’issu d’une ultime réunion, le collectif à pu choisir son futur manager en totale autonomie.

Résultats du modèle

Tant au niveau des chiffres que des décisions importantes, le modèle de l’entreprise libérée favorise la transparence. Grâce à elle, les collaborateurs présentent un amour de la marque et une conscience professionnelle accrus.

Après avoir connu la crise, la libération de ces entreprises leur a permis de relevé une forte croissance (Poult, Chronoflex, fonction publique belge, Gore, Favi, Harley davidson). En ce qui concerne Favi, les employés peuvent toucher jusqu’à trois mois de salaires en bonus.

Motivés, autonomes et écoutés, les employés réceptifs à ce nouveau fonctionnement osent et proposent des améliorations voire des innovations.
Cependant, lorsqu’une personne ne s’implique pas à 100%, les équipes peuvent alors rencontrer des difficultés organisationnelles.
Dans le cas de Favi, la moindre complication impacte directement la mini usine. Le dialogue s’établit alors naturellement entre les différents acteurs de cette dernière. 90% des problèmes se règlent sur le terrain, les personnes peu réceptives au modèle de Favi finissent par partir d’eux-mêmes.

Conclusion

Favorisant la confiance plutôt que le contrôle, l’entreprise libérée permet aux collaborateurs de s’épanouir dans leur métier, gagner en compétences et se sentir impliqués dans la direction que prend l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

Néanmoins, ces évolutions réclament beaucoup d’investissements afin de faire évoluer les mentalités des salariés comme des dirigeants.

Point de libération sans accompagnement, car de tels changement nécessitent un vrai savoir faire.

*chiffres annoncés dans le documentaire “Le Bonheur au travail diffusé sur Arte en 2015

Source et remerciements : http://www.rhperformances.fr/actualite-l-entreprise-liberee-254-fr.html